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De Ninive au Khabour 1915, 1933, 2014, 2015 : Le calvaire gĂ©nocidaire et ethnocidaire du peuple assyro-chaldĂ©en DiocĂšse de Lyon - Le site de l'Ăglise Catholique dans le RhĂŽne et le Roannais Joseph Yacoub, 1er mars 2015.Retrouvez ci-dessous le discours prononcĂ© par Joseph Yacoub, dimanche 1er mars 2015, Ă Sarcelles, lors du rassemblement de solidaritĂ© avec les chrĂ©tiens Assyriens du Khabour en Syrie. Joseph Yacoub est professeur honoraire en sciences politiques Ă lâUniversitĂ© catholique de Lyon et est originaire du Khabour. Monsieur le dĂ©putĂ©-maire François Pupponi, Honorables reprĂ©sentants des autoritĂ©s politiques, civiles, religieuses et associatives, Chers amis Assyro-ChaldĂ©ens, Bonjour Ă tout le monde, La communautĂ© assyro-chaldĂ©enne fait face Ă des temps sombres et Ă une situation affligeante. Ces attaques criminelles, ces enlĂšvements dâinnocents (plus de 250 personnes, des jeunes, des femmes et des personnes ĂągĂ©es sont prises en captivitĂ©), lâexil forcĂ© de milliers de personnes (plus de 3000 rĂ©fugiĂ©s Ă HassakĂ© et Ă Qamichli), ces martyrs tombĂ©s (plus de 10 dĂ©jĂ !) sont un choc terrible pour une communautĂ© qui a subi par le passĂ© beaucoup de souffrances. Une nouvelle tragĂ©die et une extermination collective contre les Assyro-ChaldĂ©ens est, encore une fois, en train de se dĂ©rouler sous nos yeux, dans la douleur et le sang, en Syrie depuis le lundi 23 fĂ©vrier, aprĂšs celle de lâIrak oĂč la province de Ninive est toujours en deuil depuis son invasion par les groupes terroristes du prĂ©tendu « Etat islamique », le 10 juin et le 17 juillet 2014. Avec la destruction des monuments historiques qui remontent Ă plus de 3000 ans dâhistoire et la dĂ©molition des Ă©glises et des sanctuaires par une bande de nihilistes obscurantistes, on est en train dâeffacer la mĂ©moire dâun peuple et les traces dâune civilisation, la MĂ©sopotamie, qui est un des berceaux de lâhumanitĂ©, dĂ©tentrice dâun patrimoine mondial matĂ©riel et immatĂ©riel. Ces actes de vandalisme ont Ă©tĂ© vigoureusement dĂ©noncĂ©s par la Directrice GĂ©nĂ©rale de lâUNESCO, Madame Irina Bokova. TĂŽt, le matin du lundi 23 fĂ©vrier, la terreur de Daech sâest abattue sur les villages assyriens du Khabour, dont les premiĂšres persĂ©cutions avaient commencĂ© en septembre dernier, les sommant dâenlever les croix de leurs Ă©glises. Lâironie du sort fait que ces nouvelles victimes, ces dignes fils du Hakkari, leur foyer ancestral, sont justement les enfants des dĂ©portĂ©s des massacres dâIrak de 1933, eux-mĂȘmes les rescapĂ©s du gĂ©nocide de 1915 sous lâEmpire ottoman. La Syrie fut leur troisiĂšme pays de refuge. Ils vivent au nord-est de la Syrie, depuis 1933, sur les deux rives du fleuve Khabour, dans 35 villages entre les villes de HassakĂ© (qui est ma ville natale) et Rasâal-AĂŻn. Câest avec joie que jâai passĂ© mon enfance et ma jeunesse entre HassakĂ© et ces villages assyriens oĂč je me suis nourri de lâamour du pays assyrien et appris la fiertĂ© dâappartenir Ă ce peuple. Qui sont ces Assyriens ?Les documents de la SociĂ©tĂ© des Nations (SDN), qui est lâONU de lâentre-deux-guerres, affirment que les Assyriens furent « chassĂ©s de leurs montagnes par les forces turques » en 1915 et « se rĂ©fugiĂšrent Ă Ourmiah, en Perse, ville qui Ă©tait, Ă lâĂ©poque, aux mains des troupes russes ». AprĂšs 1915, une nouvelle tragĂ©die survint, lâexode des Assyro-ChaldĂ©ens de Perse vers lâIrak, le 31 juillet 1918. Cet exode effroyable est dĂ©crit dans ces termes : « AprĂšs avoir parcouru dans la dĂ©bandade 300 miles (480 km) en direction du sud-est, avec leurs familles, leur bĂ©tail et leurs biens, les Assyriens arrivĂšrent enfin Ă Hamadan, dĂ©cimĂ©s par de perpĂ©tuelles attaques des Turcs, des Kurdes et des Persans sur tous les flancs. BrĂ»lĂ©s par la chaleur de lâĂ©tĂ©, ravagĂ©s par le typhus, la dysenterie, la variole et le cholĂ©ra, vieillards et enfants, Ă©puisĂ©s de fatigue et de fiĂšvre, Ă©taient abandonnĂ©s sur le bord de la route, et les morts et les mourants marquaient le chemin de la retraite. A la fin, aprĂšs avoir perdu 20000 dâentre eux, les survivants atteignirent Hamadan et prirent contact avec les troupes britanniques. » Quinze ans aprĂšs leur arrivĂ©e en Irak (1918-1933), ils furent Ă nouveau victimes de massacres qui ont Ă©tĂ© Ă lâĂ©poque largement rĂ©percutĂ©s par la presse internationale, notamment française. Pourtant, lorsque lâIrak obtint son indĂ©pendance et fut admis Ă la SDN le 30 octobre 1932, des engagements Ă©taient pris en vue dâĂ©tablir les Assyriens, originaires du Hakkari, en unitĂ© ethnique homogĂšne et en groupe compact. Cependant, le mot « unitĂ© » fut mis au pluriel, maintenant ainsi la dispersion de ce peuple. A lâĂ©poque, trois idĂ©es-clefs rĂ©sumaient leurs revendications : Ă©tablissement homogĂšne, autonomie administrative et droit de collecter les impĂŽts. Tous les efforts entrepris pour Ă©tablir les Assyriens en bloc avaient Ă©chouĂ© Ă cause de la rĂ©sistance des autoritĂ©s irakiennes. De ce fait, on Ă©tait devant un tel Ă©tat de dispersion, de dĂ©sunion et de ballotement que la situation devenait de plus en plus critique. Des massacres eurent lieu au village de SimĂ©lĂ© et dans dâautres localitĂ©s au nord de lâIrak en aoĂ»t 1933, commis par lâEtat irakien dĂ©sormais indĂ©pendant. On fit Ă©tat de 3000 victimes, tuĂ©es dans des conditions atroces. Câest alors quâun certain nombre des montagnards Assyriens prirent derechef le chemin forcĂ© de lâexil, vers la Syrie oĂč ils furent accueillis et installĂ©s dans la rĂ©gion du Khabour, par les autoritĂ©s françaises qui avaient alors le Mandat sur la Syrie, confiĂ© par la SDN. Des villages citĂ©s en modĂšleIls ont construit des villages et mis en valeur des terres agricoles qui Ă©taient en friche. Ils Ă©taient citĂ©s comme modĂšle de rĂ©ussite et de loyautĂ© en Syrie. Nous pouvons citer avec fiertĂ© la liste des principaux villages assyriens construits grĂące Ă leur labeur, estimĂ©s Ă 35, qui sont un microcosme et une reproduction qui leur rappelait le Hakkari : Um Gargan, Tal Arbouch, Tal Hormuz, Tal Damshesh, Tal Tal,Tal Maghada, Kharita, Um Alkeif, Um Waqfa, Abu Tina, Qabr Shamiyeh, Tal Baloaa, Tal Goran, Tal Shamiram, Tal Jazirah, Tal Talaa, Tal NajmĂ©, Tal Hefian, Tal Nasri, Tal Baz, Tal Jumaa, Tal Maghas, Tal Masas, Tal Jadaya, Tal Tawil, Tal Tamer, Tal Kepchi, Tal Faidat, Tal Ahmar, Tal Ruman Tahtani, Tal Ruman Fokani, Tal Brej, Tal Sakra, Tal Wardiate, Tal Shamyeh. Le Khabour, une miniature du HakkariCe qui est extraordinaire, dâun point de vue anthropologique et sociologique, câest que dĂšs leur arrivĂ©e dans le Khabour, les Assyriens ont reproduit les structures dâorganisation tribales, claniques, familiales et religieuses qui prĂ©valaient, depuis des temps lointains au Hakkari. Ainsi, Tal Damshesh fut occupĂ© par les habitants de QotchanĂšs quâon appelle les QotchesnayĂ©, village qui Ă©tait jusquâen 1915, le siĂšge patriarcal des Mar Shimoun, les BaznayĂ© Ă Tal Baz et Tal Ruman Tahtani, les TalnayĂ© Ă Tal Tal, les DjĂ©loayĂ© Ă Qabr ShamiyĂ©, les TchalnayĂ© Ă Tal Brej, les GounouknayĂ© Ă Tal Sakra et Qabr Shamyeh, les MazernayĂ© Ă Tal Wardiate, les DeznayĂ© Ă Tal Baloaa, les GavarnayĂ© Ă Tal Goran et Tal Maghas, les MarbouchnayĂ© Ă Tal Shamiram, les HalemnayĂ© Ă Tal Jumaa, les BarwarnayĂ© Ă Tal Masas, les IlynnayĂ© Ă Tal Jadaya, les TiarayĂ© Ă Tal Tamer, les AkernayĂ© Ă Tal Kepchi, les MazernayĂ© Ă Tal Ruman Fokani⊠La dĂ©fense de leur identitĂ©, ethnique, culturelle et religieuseCette histoire est transmise, depuis, par un patrimoine immatĂ©riel, par les chansons, illustrĂ©e par le folklore, perpĂ©tuĂ©e par de nombreux poĂšmes et des productions littĂ©raires. Appartenant Ă lâEglise assyrienne de lâOrient, dite naguĂšre nestorienne, regroupĂ©s autour de leur patriarche (qui vivait en exil) et leurs chefs (les Maleks), ils ont bĂąti des Ă©glises dont les noms rappellent leurs saints, ceux quâils vĂ©nĂ©raient au pays, comme Mar Shalita, Mar Zaya, Mar PĂ©tion, Mar Guiwarguis, Mar Sarguis, Mar Bichou⊠Et chaque village est composĂ© principalement de la tribu et du clan auxquels ils appartenaient. Une stratĂ©gie sciemment prĂ©parĂ©e et un crime contre lâhumanitĂ©Depuis le 23 fĂ©vrier, la situation est extrĂȘmement inquiĂ©tante, plusieurs villages comme Tal Tamer, Tal Shamiram, Tal Tawil et Tal Hormuz ont Ă©tĂ© attaquĂ©s par des islamistes ultra radicaux, Ă©quipĂ©s dâarmement lourd. Le malheur sâest abattu sur cette communautĂ© pacifique qui ne demande pourtant que sa part Ă la vie et son droit Ă la dignitĂ© et au respect. Nourris par une idĂ©ologie politique de la haine, il sâagit dâune stratĂ©gie, concertĂ©e et savamment prĂ©parĂ©e en vue de vider la rĂ©gion de sa population chrĂ©tienne, en dĂ©stabilisant, en semant la peur et rĂ©pandant la terreur. Face Ă ces actes cruels et barbares, il est urgent de rĂ©agir en prenant des mesures concrĂštes et de rompre avec cette passivitĂ© et incohĂ©rence dans la quelle la communautĂ© internationale se complaĂźt. Comment en est-on arrivĂ© lĂ ? Quel mĂ©pris de lâĂȘtre humain et quel recul de la civilisation !
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